La cave normande Une histoire de pomme
Selon le dicton, le paysan normand parle rarement de sa femme, parfois de ses enfants, souvent de ses bêtes et toujours de ses pommes. Et la pomme normande, c’est la pomme à cidre. Une pomme aussi acide qu’amère, impossible à manger, avec laquelle on fait pourtant des merveilles. Jus pour les enfants, que l’on transforme en cidre pour les plus grands, ou en calvados pour les amateurs de sensations fortes.
Au début, il y a la pomme à cidre ou plutôt les pommes à cidre. Car des variétés, il y en a des centaines en Normandie. On trouve des pommes douces, sucrées et parfumées, des amères, riches en tanin, et des acidulées. Comme pour le vin, chaque domaine garde secrètement sa recette d’assemblage, celle qui donnera le jus le plus fruité, le cidre le plus parfumé, le calva le plus fin. Il existe aussi quelques pommes « qui font leur cidre seul », parfaitement équilibrées en goût.
Haut comme trois pommes
Les enfants raffolent du jus de pommes fruité et parfumé. Pour les régaler, préférez un jus artisanal, car il sera élaboré avec des pommes à cidre et non des invendus de pommes à couteaux comme souvent le sont les jus industriels. Passez votre chemin devant tout ce qui n’est pas 100% pur jus et choisissez sans hésiter un mode de culture bio, la pomme détenant le triste record du fruit le plus traité aux pesticides.
Comment fait-on du jus ?
À l’automne, les pommes sont ramassées, triées avec soin et lavées. Elles sont ensuite broyées, avec peau et pépins. Puis la pulpe recueillie est pressée pour en extraire le jus. Ce « jus du pressoir », appelé aussi moût, est trouble et délicieusement fruité. Il peut être clarifié naturellement ou en ajoutant des enzymes, puis pasteurisé pour être conservé facilement 2 ans. Un régal !
Et le jus devient cidre
C’est généralement le premier alcool auquel on a droit. Parce qu’il est peu alcoolisé et parce que son goût fruité et son pétillant en font une boisson facile à apprécier. Mais si le bon cidre est facile à boire, le faire est tout un art, qui réside principalement dans l’assemblage des jus qui le composent. Non pasteurisé, le jus de pomme fermente naturellement – le sucre contenu dans le moût se transforme en alcool et en gaz carbonique. Cette fermentation se doit d’être elle aussi bien maitrisée. Dans le cas contraire, on a vite fait de repeindre les murs en ouvrant une bouteille.
Heureux les curieux
Contrairement aux vins, le cidre ne se bonifie pas avec le temps et se conserve 2 ans pas plus, dans un endroit frais, la bouteille debout.
Comment choisir son cidre ?
100 % pur jus ! On a ainsi l’assurance que l’on n’a pas affaire à de l’eau ajoutée à un moût concentré. La mention « effervescence naturelle » certifie qu’il n’y a pas eu d’ajout de gaz carbonique, autre pratique trop souvent utilisée pour raccourcir la fermentation. Seules les A.O.P. Pays d’Auge et Cotentin garantissent une fermentation lente, une clarification naturelle et une prise de mousse en bouteille. Les mentions « artisanal », « fermier » ou « traditionnel » mettent en avant l’aspect local de la production mais ne sont pas forcément un gage de qualité. Quant au cidre bouché, cela signifie simplement que la bouteille est fermée d’un bouchon « champignon ».
Brut, doux ou demi-sec ?
La règle est simple : plus le temps de fermentation est long, plus le cidre est alcoolisé et moins il est sucré. Ainsi le cidre doux qui titre moins de 3% d’alcool est le plus sucré. Il s’accorde bien avec une galette des rois ou un chausson aux pommes.
Le cidre brut, le plus alcoolisé et le moins sucré donc, accompagne parfaitement les poissons et fruits de mer. Il fait aussi un apéritif très désaltérant en été. Et c’est aussi lui que l’on choisit pour cuisiner.
Entre les deux, on trouve le demi-sec, un peu plus fruité que le brut mais moins sucré que le doux. Il se marie à la perfection aux fromages normands mais aussi aux volailles nappées de crème.
Heureux les curieux
Protégé par une A.O.P., le poiré Domfront est un exquis cousin du cidre qui provient de poiriers tricentenaires. Vous pouvez aussi goûter au cidre rosé, élaboré avec des pommes à la chair rouge. Ou le cidre de glace, bien plus moelleux et non effervescent, qui est obtenu par cryoextraction, c’est-à-dire par réduction du jus de pomme par le froid. Et forcément ça nous vient du Canada.
Entre la poire et le fromage
Peu d’alcools sont aussi liés à un terroir que le calva à la Normandie. Longtemps chaque paysan a produit sa « goutte » avec l’alambic du village, chaque bouilleur du cru avec l’alambic ambulant. Le fort breuvage était réputé soigner tous les maux. Au comptoir, on commandait un « café coiffé », avec sa lichette de calva, pour bien démarrer la journée. Les gargantuesques repas de fête étaient entrecoupés d’un trou normand, petit verre de calva bu cul sec, pour faire glisser le tout. Et on finissait son fond de verre avec un « canard », morceau de sucre trempé dedans. Une vraie tradition on vous dit.
Et le cidre devient calva
Selon l’A.O.C., le calvados est une eau-de-vie issue de la distillation du cidre élaboré à base de pommes mais aussi de poires. Placé dans des fût de chêne pendant au minimum 2 ans, il s’aromatise et prend sa couleur ambré. Son aire de production n’est pas cantonnée au département éponyme mais s’éparpille aussi sur l’Orne ou encore le pays de Bray. Il existe une A.O.C. calvados du pays d’Auge qui donne des spiritueux plus concentrés et une A.O.C. Domfrontais, élaboré avec plus de 30% de poires.
Heureux les curieux
Le calvados peut se conserver longtemps. Idéalement, on le boit chambré, c’est-à-dire à température ambiante, dans un verre tulipe qui concentre les arômes.
Étiquette mode d’emploi
Peu consommé en dehors de la Normandie, le calvados possède pourtant une grande richesse aromatique. Reste à choisir la bonne bouteille.
- Une année est présente sur l’étiquette ? Elle indique l’année de distillation de l’eau-de-vie. On parle alors de millésimes. Rares, ce sont les plus recherchés.
- Si la bouteille arbore un nombre d’années, vous avez affaire à un assemblage, un blend. L’âge indiqué est celui de l’eau-de-vie la plus jeune.
- Vous n’avez ni date ni âge mais d’étranges mentions ? « Fine », « trois pommes » ou « VS » (Very Special) indique un calvados de 2 ans d’âge. « Vieux » ou « Réserve » pour un 3 ans d’âge. À partir de 4 ans, on parle de « VSOP » (Very Superieur Old Pale) ou « Vieille Réserve ». À plus de 6 ans, ça sera « Napoléon », « XO » (Extra Old), « Hors d’Âge » ou « Très Vieille Réserve ».
Qu’est-ce qu’on boit ?
Comme toujours et avant tout, c’est une histoire de goût. Dans le doute, suivez nos conseils, avant de vous faire votre propre opinion.
- En apéritif ou pour réaliser un cocktail, voire pour un trou normand, préférez un calvados jeune, 2, 3 ans d’âge pas plus. Ils sont souvent bien fruités, avec des arômes de pommes, mais aussi d’agrumes ou de vanille. Un calvados Domfrontais, aux notes de poires, fera aussi très bien l’affaire.
- Le calvados est réputé pour s’accorder parfaitement avec les fromages, les tartes aux pommes et les desserts au chocolat. Privilégiez un calvados du pays d’Auge, de 3 voire 4 ans d’âge, avec des arômes puissants. Parfait aussi en cuisine, il apportera du caractère à vos plats.
- Si vous le préférez en digestif, ne mégotez pas et optez pour un calvados pays d’Auge « XO » ou un millésime, bien plus complexe en bouche.
Heureux les curieux
En 1948, à Pont-Audemer, Edmont Chort-Mutel eut la grande idée d’ajouter du calvados à du moût de pomme et de laisser vieillir le tout 18 mois. Ainsi naquit le pommeau, l’autre apéritif de Normandie.